Gentiment

Publié le par Fanny S.

Vous arrivez à l'hôpital, on vous reçoit et on prend soin de vous. Vous vous étiez préparée à servir de cobaye, à de nombreuses choses, sauf une : que l'on vous fasse revenir en arrière.

S'il n'y a rien à redire au passage des pontes de la médecine... le manque de leur sens de la réalité du quotidien. S'il n'y a rien à dire, parce qu'ils sont maître de nos corps et de leur guérison là où s'arrête nos propres limites.

C'est psychosomatique.

Ils ne savent pas. Ils se rassurent de leur savoir, oubliant que juste à côté d'eux, dans le lit, vous êtes cette patiente avec un cœur qui bat désespérément de pouvoir vivre dans un corps « normal » une vie « normale ». Vous les voyez parler de théorie, de diagnostique et vous les entendez dire que s'il n'y a rien d'anormal, alors ils s'arrêteront. Plus de recherche : plus d'espoir. On vous arrache un peu plus à vous même, sans le savoir. On tourne le couteau dans la blessure, sans avoir conscience de ce pouvoir.

Les médecins ont leur réalité et vous la vôtre. Ils voient que tout est normal et vous vous ne voyez que le trou béant du manque de réponse.

Ce séjour vous aura appris deux choses : accepter la limite de la médecine, échanger la colère contre la tristesse, et qu'il n'y aura peut être pas de réponse : qu'à cela vous ne pouvez rien dire, rien demander. Il n'y a pas de réponse : donc il n'y a rien (entendre « on ne sait pas »... encore faut-il savoir écouter...)

Tant pis pour l'ignorance et le manque de stabilité professionnelle. Tant pis pour vous.

Ils ne comprennent pas que vous vous accrochiez au petit détail dont ils se moquent. Ils vont au bout des choses, mais c'est à se demander si c'est par pitié. Tous ne vous renvoient que votre pathétique débat contre les moulins à vent. Laissez tomber, vous ne comprenez pas, vous n'avez pas de cancer, rien de grave... après que vous ne puissiez pas travailler normalement ce n'est pas l'essentiel. Vous n'avez rien, vous devriez être heureuse. Vous n'avez rien, vous êtes jeune... la vie devant vous.

Et vous assise à regarder ailleurs en écoutant sans écouter vraiment, ce que vous entendez depuis des années, avec en moins les mots qu'ils n'osent pas vous dire... parce que pour ceux là vous êtes capable de sortir vos griffes. Désormais vous savez dire « assez ».

 

Assez de jouer l'aveugle pour ne pas dire qu'on ne sait pas. Assez d'entrevoir l'hypocrisie d'un médecin, qui au lieu de s'asseoir et avouer sa déception à vos côtés, va vous annoncer que tout va bien, même si vous ne marchez qu'un jour sur deux en sentant vos jambes... cet homme qui va vous dire gentiment « oui bien sûr, posez votre question » et en discuter comme si vous n'étiez pas dans la pièce avec le médecin de son équipe qui s'occupe de vous. Ces docteurs qui peuvent vous fendre le coeur en quelques mots « on a fait le tour » même si vous savez, tous les deux, que ce mot gentil ment.

Heureusement que vous avez ces gens qui vous entourent, qui sont là, qui vous supportent... qui voudraient leur hurler dessus mais qui ne le font pas non plus parce que c'est comme ça... les médecins sont des demi-dieux qu'on ne peut se permettre d'insulter et qui viennent tout aussi gentiment vous préparer pour le rendez-vous du lendemain pour que, surtout, vous ne mettiez pas en colère le grand professeur, qui vous a fait une faveur, vous si jeune et à l'air si dynamique, en vous prenant sous – dans – aile d'hôpital.

 

Bien sûr vous êtes reconnaissante, même si ce n'est que la colère qui vous habite. Bien sûr que vous les remercier tout au fond de vous, de faire leur travail. Bien sûr que vous savez que la manière dont ils vous traitent est respectueuse et que ce n'est pas un jugement sur votre personne. Bien sûr que vous savez qu'ils ont la limite de la science. Bien sûr que vous savez tout ça, mais vous êtes un patient atteint dans sa chair, qui en sait plus quoi dire, ni quoi faire, ni comment se comporter, ni comment décrire pour que l'on entende. Vous êtes un patient que l'on a enfin cru et que l'on renvoie aux oubliettes des fous. Bien sûr que vous savez qu'il faut entendre que dans la folie il y a du génie...

Bien sûr...

Attendez un an, deux peut-être, on pourra refaire les examens. Et d'ici là... vous faîtes comment ? Le mode pause n'existe pas dans l'existence...et vous avez besoin de vivre, pour profiter de la chance d'être née...

 

La normalité apparente ne vous console pas. Le temps s'arrête pour revenir en arrière. Comme si de rien. D'un mot, un balayage de main dans l'air, retour à la case départ. Vous devriez être heureuse mademoiselle. Ce n'est pas grave. Il n'y a rien.

Pourtant vous savez qu'il y a quelque chose. Vous connaissez la douleur et les maux. La différence entre le physique et le psychosomatique. Les papillons dans le ventre, le coeur qui s'accélère avant une soutenance, vous en venez à l'apprécier.

Rien ne sera plus jamais comme avant, vous le savez désormais.

Rien ne sera jamais simple. Il y aura toujours cette différence entre ce qu'ils vous disent et ce que vous vivez, même si toutes les semaines vous allez voir votre psychanalyste pour travailler à évoluer et mieux encaisser les coups.

 

Se rendent-ils compte qu'ils peuvent casser quelqu'un en quelques mots ? Réalisent-ils leur pouvoir de maîtres sur la seule enveloppe que nous ayons pour vivre cette vie sur terre ? Savent-ils que vous connaissez votre chance parce que tous les jours sont différents et que souvent vous ne parvenez pas à en profiter parce que c'est votre corps qui vous éloigne de vous et de votre existence ?

 

Vous leur dites douleurs, ils pensent jeunesse. Vous leur demandez des réponses, ils pensent dépressive.

 

Voilà l'image de la médecine que vous avez aujourd'hui.

Après avoir fait le clown pendant deux jours, pleuré quelques heures, cette perception n'a pas changé. La médecine est un monde de complaisance où on ne sait pas dire qu'on ne sait pas. On en détruit des confiances en soi. Il n'y a pas de médicament contre ça... ni de contre-indication possible.

 

Parfois ce serait tellement mieux, de s'asseoir avec son médecin et juste de se de dire « dommage »... au lieu de s'inventer une explication qui donne bonne conscience à l'incarnation de la science qu'il est, qui le console un peu, tout en vous blessant un peu plus.

 

Une fois que vous avez fait les hôpitaux, les médecins, les spécialités... les discours presque appris par cœur de les avoir trop entendus, vous finissez par dire « j'abandonne »... Je m'abandonne une fois de plus à leur mensonge...

vous savez que soit vous vous mentez, soit vous devenez vraiment folle de trop de questions dont vous n'acceptez pas qu'elles soient sans réponse.

Vous acceptez les contradictions. Vous acceptez tout, y compris qu'on vous affirme que vous êtes qui vous n'êtes pas. Vous acceptez d'y croire. Vous changez d'église. Vous prenez quelques pilules du bonheur pour arranger tout le monde. Vous rentrez dans le moule.

Pendant ce temps là votre corps travaille. Il travaille pour lui quand vous pensez travailler pour vous. Les choses continuent et vous laissez faire. Vous lâchez prise.

Ce n'est pas bien grave, le précipice, s'ils vous ont dit d'y glisser...

Et toutes ces fois qui viendront... on vous dira que peut-être on a trouvé et puis non. A force de crier au loup, c'est le berger qui n'appelera plus. Vous ravalez alors votre conscience, le pourquoi de votre combat et vous suivez leur conseil : vous essayez de vivre à temps partiel comme si c'était normal. Comme si vous ne cautionniez pas l'évolution d'un corps blessé. Comme si c'était normal de se tourner en dérision quand vous n'ouvrez plus les portes, quand vous tremblez comme une feuille, quand vous gonflez comme un ballon, quand vous ne trouvez plus les mots, quand vous notez pour vous souvenir, quand vous ne pouvez plus bouger, quand vous inversez, quand vous grignotez du sucré parce que vous vous sentez partir et que vos collègues vous mettent en boite à propos de votre gourmandise... vous ne dites plus... Vous les laissez vous appeler « terminator » pour la ceinture dorsale que vous portez parce que vous n'avez rien. Vous laissez les regards et les râleurs regarder et râler parce que vous avez besoin d'une canne pour avancer et vous continuez de prétexter qu'elle sert bien aussi comme porte-cintre, ouvreuse de porte d'ascenseur, croche-patte ambulant malgré soi... Vous acceptez qu'on n'a jamais dit que le handicap était féminin et beau. Vous combattez les préjugés, y compris pour ce qu'on ne vous reconnaîtra sans doute jamais.

Jusqu'au jour où votre corps aura trop supporté, d'avoir porté une âme en peine...

gentiment, on vous y pousse sans s'en rendre compte. On vous envoie là où votre anxiété ne veut pas vous emmener.

Gentil-ment, le mensonge vous pousse vers le contraire du guérir. Parce que cet arrangement leur va bien, l'air de rien.

 


Décembre 2009

Fanny S.

tous droits réservés

 

Publié dans réflexions poétiques

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